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La tête marinée

 Tu la connais depuis toujours.


Enfant déjà, elle te demandait de faire ces rites étranges, un peu mystiques, qui n’avaient d’autre but que de te rassurer et de la faire s’éloigner… un peu.
Puis elle repartait, pour mieux revenir, encore plus fort. Tu l’as laissé prendre cette place, sa place, comme un monstre caché au creux de tes entrailles qui te dévore. Comme un nuage sombre et obscur au-dessus de ta tête qui s’étend au fil des années.

Présente au quotidien, elle est calée confortablement dans un coin de ton être, de ta tête, de ton estomac et ressurgit pour te ronger un peu plus à chaque fois. Elle est prête à te sauter à la gorge au moindre faux pas. Un faux pas peut-être simplement causé par une nouveauté, qui va prendre une ampleur démesurée, te détournant de ton quotidien, de cette routine si agréable et rassurante.

Tu vas imaginer, fabuler, exagérer, anticiper toujours le pire parce qu’elle ne te permet pas de penser autrement.
Ce qu’elle cherche, c’est de t’immobiliser pour te garder à sa portée. C’est elle qui décide, qui dirige, pas toi. Elle est sournoise, et prend des formes différentes, même parfois étonnantes, mais toujours plus prégnantes et plus invasives.
Elle peut t’importuner quelques jours ou des mois entiers sans te laisser de répit. La dépression est sa meilleure alliée, tu l’as déjà rencontrée à de nombreuses reprises. Elles sont souvent de mèche pour te ramener à elles.

Elle t’empêche d’avoir une vie sociale, elle te crée des angoisses, des phobies, des peurs irrationnelles qui en engendrent d’autres, un cercle vicieux duquel tu ne peux plus sortir. Même faire les choses les plus anodines peuvent te sembler insurmontables, son venin les ayant toutes empoisonnées.
Sortir dans la foule est une épreuve, voyager n’est plus envisageable, même t’alimenter est devenu un calvaire car elle a inséré dans tous les recoins de ton cerveau des pensées malsaines.
Ton corps est à sa merci, lui aussi commence à te lâcher.

Elle t’observe, te parle souvent, comme un petit être glaçant mais paradoxalement rassurant.
Parce que tu as grandi avec, et même si elle te paralyse dans tous tes faits et gestes, tu la connais depuis ton plus jeune âge, et sans tu serais perdu.e.
Tu as appris à l’anticiper, à la voir arriver. Tu ne cherches même plus à l’éradiquer, juste à vivre avec.
Tu la déteste et voudrais t’en séparer mais l’idée même de ne plus avoir les repères qu’elle t’a imposé te pétrifie, elle a tellement de fois été ton refuge.
Elle est si cruelle. Tu aimerais qu’elle disparaisse, cette anxiété perverse qui t’habitera à jamais.

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